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De 1991 à 2008, Catherine Alvarez a été la plus proche collaboratrice de sœur Emmanuelle. Catherine a accompagné et conseillé sœur Emmanuelle dans le développement d’Asmae. Le Conseil d’Administration et toutes les équipes d’Asmae tiennent à la remercier chaleureusement pour son engagement et le chemin parcouru. Sous sa direction, l’association est passée du statut de petite structure à celui d’ONG internationale reconnue dans le monde pour ses projets et son savoir-faire. Catherine a pris sa retraite au mois de juillet 2020 et rejoint le Conseil d’Administration en septembre. Elle a été remplacée depuis le 1er mai par Adrien Sallez au poste de directeur général, qui est l’un de ses collaborateurs depuis 10 ans. Nous leur donnons la parole dans une interview croisée.
Vous qui avez travaillé aux côtés de Sœur Emmanuelle pendant 17 ans, quel est votre souvenir le plus marquant ?
Catherine Alvarez : Je me remémore la visite faite avec sœur Emmanuelle de la montagne fumante à Manille aux Philippines. Il s’agissait d’une immense colline où les camions poubelles venaient déverser les ordures de la ville. Les familles et les enfants vivant au pied de la colline venaient tous les jours, munis de crochets, récupérer ce qui pouvait l’être pour être revendu. Cette image d’enfants et d’adultes piétinant dans l’ordure puante toute la journée, prenant le risque de se faire aspirer par les trous de fermentation, est avec l’image des camps de réfugiés de Khartoum, l’une des plus inhumaine dont je me souvienne.
À l’issue de cette visite, j’ai accompagné sœur Emmanuelle afin de rencontrer la présidente Madame Corazon Aquino au Palais Présidentiel. Nous lui avons demandé ce que le gouvernement prévoyait de faire pour supprimer cette montagne fumante et accompagner les familles qui en vivaient, vers un autre emploi et d’autres logements.
Quelles ont été les principales réalisations d’Asmae ces 20 dernières années ?
Catherine Alvarez : L’association a démarré comme une toute petite association artisanale, pour devenir aujourd’hui une association de référence à la pointe des méthodes de développement. Elle a contribué à la structuration de dizaines d’associations locales qui aujourd’hui sont des références dans leur pays, capables de prendre la relève. Avec ces associations locales, Asmae a permis aux pouvoirs publics de prendre conscience des enjeux en matière d’éducation et de protection de l’enfance et ainsi de favoriser la diffusion des meilleures pratiques.
Quel regard portez vous sur l’évolution des besoins concernant les enfants et la jeunesse ?
Adrien Sallez : Les inégalités se creusent en France mais aussi entre les pays et régions du monde.
Pour l’international, 11 millions d’enfants sont des réfugiés ou des demandeurs d’asile hors de leur propre pays et 17 millions sont des déplacés au sein de leur pays. C’est une situation à la fois dramatique et inédite. En matière d’éducation, d’importants progrès ont été faits pour l’accès à l’école. Il faut désormais que les personnels soient formés et qu’ils disposent de matériel pédagogique adapté. Un effort particulier doit être fait en faveur des filles qui restent trop souvent écartées de l’école.
Pour la France, le nombre de jeunes mères en situation de précarité avec des enfants en bas âge ne cesse d’augmenter, notamment en Seine Saint-Denis où nous travaillons sur ce sujet. Et tout récemment, la période de confinement a mis à jour le niveau très préoccupant d’exposition des enfants aux violences intrafamiliales.
Plus globalement, les guerres, la pauvreté, les violences physiques, psychiques et le manque d’accès à une éducation de qualité restent les principaux facteurs qui empêchent les enfants de grandir et de se développer dans de bonnes conditions
Quels sont les défis d’Asmae pour les prochaines années ?
Adrien Sallez : En France comme à l’international, notre priorité restera de répondre aux besoins des enfants les plus vulnérables. Mais pour faire bouger les lignes, nous devrons alerter plus fermement les pouvoirs publics et le grand public concernant les situations inacceptables. Nous devrons également développer notre capacité d’adaptation à des contextes instables au plan sécuritaire, politique et sanitaire comme nous le connaissons actuellement avec le Covid19. Cela implique d’élaborer des projets de manière rapide, y compris sur de nouveaux territoires et de pouvoir s’en retirer si nécessaire, après avoir renforcé les capacités des acteurs locaux.
Nous devrons également continuer à développer la qualité et l’impact de nos projets en tenant compte de leurs contextes culturels. Cela implique de s’appuyer à la fois sur des textes internationaux comme la Convention Internationale des Droits de l’Enfant mais également de nous adapter aux contextes culturels, notamment dans la prise en compte des spécificités liées au genre (filles-garçons). L’intégration socio-économique des jeunes et leur participation active dans le cadre de nos projets sont également des axes que nous souhaitons développer.
Nous restons dans la ligne d’action et de valeurs de Sœur Emmanuelle avec le soucis permanent d’adapter nos projets à l’évolution des besoins.