Modèle d’engagement et d’altruisme, pionnière et visionnaire, Sœur Emmanuelle a porté jusqu’à sa disparition les valeurs et l’action d’Asmae auprès des enfants vulnérables. A l’occasion de nos 40 ans, Jean-Frédéric Geolier, fondateur de Mille et Un Repas et également administrateur et généreux mécène pour Asmae nous fait part de son témoignage. Il se confie sur la manière dont sa proximité avec Sœur Emmanuelle a inspiré sa vie personnelle et professionnelle et lui a donné l’envie de s’engager aux côtés d’Asmae.
Quel est votre engagement auprès d’Asmae ? Depuis combien de temps ?
Je suis administrateur depuis plus de dix ans. Lors de la création de mon entreprise, j’avais demandé à mon avocat de donner 30% du capital à l’association de Sœur Emmanuelle, il m’avait conseillé de faire un don lorsque l’entreprise commencerait à gagner de l’argent. Mes parents vivaient en égypte lorsque j’avais une trentaine d’années. J’avais été acheter une oie au Mokattam chez les chiffonniers du Caire et j’avais été frappé par ce lieu qui était marqué de l’empreinte de sœur Emmanuelle et de sa générosité.
Comment avez-vous connu l’association ?
Cinq-six ans après la création de l’entreprise, le hasard m’a fait rencontrer Claire, la belle sœur de Catherine Alvarez (directrice d’Asmae à l’époque) dans le désert Marocain. Elle m’a proposé de nous mettre en contact, environ un mois plus tard, je rencontrais Catherine et Sœur Emmanuelle s’est invité à la table ce jour là, lors d’un repas familial à Grenoble chez Claire. Sœur Emmanuelle a été ma plus belle histoire d’amour après celle que je vis depuis plus de 40 ans avec mon épouse.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous engager ?
Une phrase de Sœur Emmanuelle m’a donné envie de m’engager : “Jean-Fred, en quoi tu peux m’aider avec ta “boustifaille”?”. Une simple phrase qui vous appelle, vous pousse à vous engager à ses côtés. Vous découvrez que le bien commun existe car cette femme existe et s’acharne pour rendre les enfants des hommes libres.
Quel est votre plus beau souvenir auprès de l’association ?
C’est un voyage en Inde avec des journalistes, un représentant de l’enseignement catholique et Adrien Sallez, à l’époque responsable de la communication. J’avais financé ce voyage pour faire connaître ce qu’était l’association. Nous sommes allés en Inde à Chennai à la rencontre d’associations aidées par Asmae. Je crois que c’est la première fois de ma vie que j’ai été reçu comme un roi par les enfants, car nous incarnions à leur yeux Asmae. C’est exceptionnel. Nous avions visité plusieurs associations, j’ai le souvenir de l’une d’entre elles qui loge, nourrit, récupère les enfants dont les parents sont en prison pour éviter qu’ils soient à la rue. Je me rappelle d’un tout petit bonhomme avec une couronne de fleur et quelque chose d’incroyable dans ses yeux. Ce jour-là, vous comprenez parfaitement pourquoi vous êtes là. Ce regard des enfants vous grandit en humanité.
Quel est votre plus beau souvenir de Sœur Emmanuelle ?
Mon plus beau souvenir est lorsque nous avions organisé en Haute-Savoie la venue de Sœur Emmanuelle lors d’une manifestation avec des enfants. Nous avions réuni des élèves de différentes classes, petits et grands avec également des enfants en situation de handicap, il y avait entre 1000 et 1500 élèves et je me rappelle que j’avais déjà compris à l’époque qu’elle était là pour les enfants. Lorsqu’un adulte, député, préfet, politicien m’appelait pour être présent, je précisais que la place des enfants était devant et celle des adultes derrière. L’idée était que les enfants et parents, professeurs puissent témoigner de ce qu’ils faisaient de bien pour le monde, je voulais faire ce cadeau à Sœur Emmanuelle. A la fin, il y avait des questions des élèves, l’un d’entre eux demande : “Pourquoi faut-il croire en Dieu ?”. Sœur Emmanuelle lui dit: “Comment t’appelles-tu ?” il répond: “Manu”. Elle lui dit “Nous avons déjà un point commun tous les deux” et ensuite elle à dit une chose extraordinaire : “Tu sais Manu, je ne te demande pas de croire en Dieu mais il faut que tu saches que même si tu ne crois pas en Dieu, Dieu croit en toi”. C’était extraordinaire, ce que j’ai le plus apprécié dans cette phrase c’est qu’elle n’a pas essayé de convaincre les 1000 enfants qu’il fallait croire en Dieu. Grâce à cela j’ai apprécié cette femme plus qu’avant. Les 1000 enfants en face d’elles sont devenus des enfants de Sœur Emmanuelle et nous le sommes tous.
Pouvez-vous citer ce qui a changé pour vous grâce à Asmae ?
Grâce à son “En quoi tu peux m’aider?”, Sœur Emmanuelle est venue passer trois jours en Haute-Savoie, elle est venue surtout pour faire comprendre aux enfants pourquoi “il ne faut pas gâcher le pain qui fait vivre”. La façon dont elle l’a dit était simple : « Tu peux prendre le nombre de morceaux de pain que tu veux mais je te demande de ne pas gâcher la nourriture qui fait vivre” : ce n’est pas une interdiction, c’est l’ouverture et la liberté. Grâce à elle, nous avons mené des actions pour lutter contre le gaspillage du pain. Nous avons créé des tubes en plastique, des “panomètres” transparents, pour récupérer le pain gâché par les enfants. Pendant 4 semaines, un « panomètre » a été mis en place pour une opération qui permettait de financer 400 000 repas au Soudan. Le « panomètre » aurait dû être rempli des dizaines de fois et il avait été rempli qu’à la moitié, nous nous sommes rendus compte que cela avait marché. Cela nous a donné l’idée, au niveau de Mille et Un Repas, dans les restaurants scolaires de créer une démarche “zéro gaspi”, nous sommes passés de 150 grammes par jour et par élève à moins de 20 grammes. Aujourd’hui encore nous sommes dans cette démarche. C’est vraiment ce que m’a appris Sœur Emmanuelle, il fallait apprendre la liberté aux enfants pour obtenir des résultats. Rechercher en permanence la liberté c’est également une recherche personnelle, la meilleure chose que nous ayons à faire c’est d’être des hommes et des femmes libres.
Que souhaitez-vous à l’association pour le futur ?
Je souhaite à l’association qu’elle vive et qu’elle soit pérenne. Sœur Emmanuelle nous a confié à tous sa succession. Quand je dis nous tous, je pense à l’association, aux salariés, aux bénévoles, aux donateurs (entreprises et particuliers). Et j’ai tendance à terminer en disant YALLA et acharnons-nous à faire en sorte que tous les enfants deviennent des hommes libres.